ptitetannante
Elle raconte des histoires
Son chien était mort.
Et sa chance pour une deuxième date aussi. Il me parlait de son animal comme d’un enfant. Mitsou, son « beubé », avait rendu l’âme en février dernier. Je vidai mon mimosa, réprimant un soupir, tandis qu’il me montrait des photos de son Shih Tzu prises avec son flip phone. Ma nouvelle rencontre m’expliqua comment il avait trouvé son petit corps déchiqueté dans sa cour alors qu’il l’avait sorti faire ses besoins matinaux. Un coyote qui passait par là. Mourir en allant faire pipi. Je dus contenir un rire, réflexe de nervosité devant la tragédie absurde de Mitsou et le malaise que cet homme suscitait chez moi.
Pourtant, son profil n’indiquait rien d’anormal : Jean-Marc, 28 ans, propriétaire et comptable dans une grosse entreprise manufacturière. Il avait l’air d’avoir sa vie en ordre, malgré le fait qu’il portait toujours le même t-shirt bleu Hurley sur ses photos.
Le serveur débarrassa nos assiettes et baissa les yeux sur ma jambe qui s’agitait d’impatience sous la table. « Deux factures? », présuma-t-il en balayant le regard entre ma date et moi. J’acquiesçai d’un hochement de tête, pressée d’en finir et d’aller raconter ma soirée à Émilie.
Mon amie et moi vivions deux réalités opposées : elle maintenait un amour stable depuis le secondaire alors que j’enchaînais les relations comme une adolescente qui change de chanson sur son iPod sans jamais écouter de piste jusqu’à la fin. Émilie entamait sa maîtrise à l’université tandis que je n’arrivais pas à garder un emploi plus de quelques mois. Retard, attitude, humeur irritable. Les excès de la veille me forçaient à réclamer des jours de congé. Émilie me répétait que j’avais besoin d’un homme sérieux et stable dans ma vie, quelqu’un qui m’iNsPiReRaIt À mE pReNdRe En MaIn. La seule chose que Jean-Marc m’inspirait, c’était l’envie de fuir et de supprimer mon profil des applications.
Nous payâmes nos factures et je le remerciai pour la soirée. Il s’approcha pour me serrer dans ses bras. Ses mouvements étaient hésitants, comme s’il n’osait pas occuper l’espace autour de lui. Je lui tapotai le dos, gardant autant de distance que possible entre nos corps maladroits. Son cou dégageait une odeur poivrée de cyprès et d’air cristallin, rappelant le bleu de son t-shirt qu’il portait encore. Au moins, il sentait propre.
Mais la fraîcheur de son parfum ne suffit pas à me faire accepter sa proposition de le revoir. Ses yeux, cachés derrière des lunettes tachées de traces de doigts, évitaient les miens. Non par timidité, mais par frustration : je l’avais contrarié.
S’il n’était pas content, il pouvait toujours s’acheter un autre chien.
Texte: ptitetannante
Illustrations: Marilou Lavallée