Serial Dater ptitetannante Marilou Lavallée

Serial Dater, épisode 2

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Trois jours après le départ de ma mère pour Montréal, la maison flottait encore dans l’odeur sucrée de ses chandelles à la vanille.

Une odeur rassurante malgré le silence qui m’accueillit. Je m’empressai d’allumer les lumières de l’étage pour créer une sensation de vie et de sécurité. Depuis l’explosion du studio de jeux vidéo où ma mère travaillait, elle multipliait les allers-retours entre la capitale et la métropole : réunions, conférences, conventions, coaching.

Je me demandais à quoi ressemblerait la vie dans une famille comme celle d’Émilie : un hall d’entrée encombré de chaussures de toutes les tailles, mêlant les âges et les voyages, des éclats de conversations noyés dans le tintement de la vaisselle, un sofa couvert de poils d’animaux, rappelant la présence rassurante d’un compagnon fidèle. Une maison vibrante, désordonnée, habitée.

Selon ma mère, un foyer aussi chaotique n’était qu’une autre forme de chaîne pour restreindre son plein potentiel. Elle me répétait l’importance d’apprendre à me créer une vie qui serait indépendante des attentes des autres. Une vie tracée par moi et pour moi, à l’abri de l’agenda d’autrui. « Tu n’as pas besoin de personne, Florence », me disait-elle, « les gens arrivent dans ta vie, puis repartent en te laissant le cœur brisé. »

J’ignorai les assiettes empilées qui attendaient leur tour dans le lave-vaisselle, préférant m’échapper vers ma chambre. L’ordinateur affichait un écran couvert de notifications. Émilie désirait tout savoir de ma soirée. Je lui racontai l’histoire de Mitsou et de son bourreau, en mentionnant aussi Jean-Marc, plus absorbé par son « beubé » que par moi. Émilie mit un moment à répondre. Je pouvais l’imaginer froncer les sourcils, son expression oscillant entre l’horreur et l’amusement. « Voyons Flo ! Pauvre toi, tomber sur des bizarres de même ! » Elle tentait de détendre l’atmosphère, mais je sentais que cette histoire l’inquiétait. Qui sait quel autre weirdo je rencontrerais la prochaine fois?  

L’air climatisé semblait soudainement rappeler la fraîcheur des nuits de septembre qui commençait à s’installer. Je mis en ligne une nouvelle publication sur mon Skyblog. Une photo de moi savourant une pointe de pizza réchauffée au micro-ondes, accompagnée d’un court texte : Home alone = me time ! Les images de mon blogue dévoilaient des coiffures raidies par le fer, où les toupets flottaient à l’horizontale, comme figés après un coup de vent. Chaque publication se transformait en une entrée de journal intime. Un accès à ma sensibilité et à mon quotidien, une porte grande ouverte sur ma vie.

Une notification surgit sur le tableau de bord. Mathieu venait de laisser un commentaire sous ma photo de pizza. Tu m’en laisses ? Mon cœur se mit à battre avec la frénésie d’un drummer dans un groupe de punk rock. La pièce parut se réchauffer un instant. Nous nous étions rencontrés en navigant d’un blogue à l’autre, connectés par des amis communs. À 23 ans, il travaillait comme gérant dans un magasin de sport et passait ses soirées à jammer avec ses chums dans les bars. 

Serial Dater Épisode 2 ptitetannante Marilou Lavallée

Je connais une pizzéria qui offre un 2 pour 1 le mercredi ;), écrivis-je avec mon audace habituelle. Sa réponse ne se fit pas attendre. Le chuchotement persistant de l’air climatisé prit un rythme saccadé. « C’est une invitation à une date ? », demanda-t-il en message privé. Sa photo de profil le présentait dans toute sa désinvolture, assis sur un tabouret, penché au-dessus de sa guitare électrique, probablement en train de gratter quelques notes d’une chanson de Sum 41. Un musicien qui allait sans doute me briser le cœur. Je me lançai alors dans une exploration compulsive de son blogue. Une mission de stalking pré-date pour déceler tous les détails qui auraient pu m’échapper lors de mes premières visites. Je pouvais imaginer ma place sur l’une de ses photos, entre lui et les autres gars du band. Des papillons me chatouillaient le ventre. Plus jamais de vendredi soir à manger de la pizza toute seule. 

Je décortiquai chacune de ses publications avec minutie, épluchant même les commentaires. Une blonde le surnommait « mon beau ». Elle avait le look bohème d’une rebelle en quête d’aventure. Sa dernière publication, sous laquelle pleuvaient des messages de condoléances, remontait au 17 avril.

C’était la fille morte. Ou disparue.

Probablement morte.

Texte: ptitetannante

Illustrations: Marilou Lavallée

Prochain épisode : on examine une disparition.

  • Serial Dater
  • Feuilleton
  • Très creepy