Serial Dater ptitetannante Marilou Lavallée

Serial Dater, épisode 5

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         Émilie  naviguait à travers le blogue de Sarah avec une agilité déconcertante. Des pages défilaient à toute allure, chaque détail analysé avec l’œil aiguisé d’une experte qui avait transformé le stalking en art. Elle savait exactement quoi chercher : des régularités dans les titres, des espaces vides, des codes de couleurs… Mes doigts jouaient avec mes piercings, les faisant tourner nerveusement. Une part de moi espérait quand même que mon amie déniche quelque chose. Mais bon. Ce n’était pas comme si on allait élucider le cas de la disparition de Sarah ce soir, alors que la police avait déjà investigué pendant des mois.

         « Regarde ça », me coupa Émilie en écrasant son index sur l’écran. Elle pointait un espace blanc entre deux paragraphes d’un texte écrit par Sarah. Elle glissa le curseur dessus, révélant des caractères devenus visibles par la surbrillance. Un refrain de chanson. Un message crypté.

And I'd fix all that I've done if I could start again

I'd throw it all away to the shadows of regrets

And you would have the best of me.

         Je reconnus aussitôt les paroles de Best of me par Sum 41. Pas ma préférée de l’album, d’ailleurs. Trop pop, mélodramatique, générique. Des adjectifs qui me semblaient bien coller à la peau de Sarah. Émilie se tourna vers moi avec une fierté presque arrogante, comme si elle venait de révéler un secret d'état. Je relevai les épaules, les paumes levées vers le plafond. « OK, Sarah tripait sur les textes de Deryck Whibley. Pis après ? »

         Mon amie haussa un sourcil, étonnée que je ne comprenne pas encore ce qu’elle paraissait avoir déjà deviné. « Florence, réfléchis. Sarah écoutait du Kaïn et du Jack Johnson, c’est partout sur son blogue. D’où sort son intérêt pour Sum 41, d’après toi ? »

         « Je ne sais pas, peut-être qu’elle a eu un trip après avoir regardé Musique Plus », dis-je ironiquement. « Ils viennent de gagner l’album rock de l’année, tu sais. »

         Ignorant ma réponse, Émilie me pointa de nouveau l’écran. « Checke la date de publication. » Elle cliqua sur les détails. « Un mois avant sa disparition. » Je lui lançai un regard incrédule. What the heck? « Je pense que Sarah avait une relation avec Mathieu et visiblement, elle ne voulait pas que ça se sache. »

         J’hésitais entre qualifier ses talents de détective de remarquables ou de terrifiants.

         Un mois avant de disparaître, Sarah écrivait sur ses regrets, sur le fait de tout effacer et de tout recommencer. Des sentiments dissimulés, laissés à la vue des plus observateurs. Cachés, mais exposés, comme une caresse furtive échangée sous la table entre deux amants, visible seulement pour ceux qui savent où regarder. « Une fille qui flirtait un peu trop, qui faisait le party. Une fille libre qui a fini par se perdre. Ça ne te fait pas penser à quelqu’un ? » me lança Émilie avec son sourire habituel, celui qui en dit long, sans rien dire.

         Elle marquait un point. Sarah et moi, c’était un peu la même histoire : elle s’accrochait à une relation qu’elle n’était pas prête à vivre, se laissant emporter par Mathieu alors que tout en elle criait de rester libre.

         J’étais une serial dater. Je ne m’en cachais pas. Comme Sarah, j’avais soif de légèreté, de quelque chose de fun, de spontané. À chaque date, je prenais ce que j’avais à prendre, puis je disparaissais. Mais Sarah, elle, avait vraiment disparu. On en parlait comme si c’était une fille « trop libre » et que ça justifiait tout. Comme si c’était acceptable qu’elle disparaisse parce qu’elle avait trop ri, trop flirté. Ça me chauffait les oreilles.

         Je pris un moment pour digérer la remarque d’Émilie, qui se frotta les bras, là où se dressait une chaine de frissons. « Laisses-tu souvent l’air clim allumée en septembre ? On gèle. »

         Elle monta chercher son coton ouaté, m’abandonnant avec les lignes du refrain qui flottaient devant mes yeux. L’idée d’utiliser son blogue afin de communiquer publiquement ses sentiments pour quelqu’un me faisait grincer des dents. Quétaine. C’était ça, la différence entre Sarah et moi. Le gnagnagnapeinedamour me rebutait. Émilie disait que j’avais du mal à vivre mes émotions. Moi, je disais que j’étais réaliste.

         Quand elle revint, son visage avait changé. Ses traits étaient marqués par une gravité inhabituelle. Son esprit errait, ailleurs, absent. 

         Quelque chose la préoccupait. 

Texte: ptitetannante

Illustrations: Marilou Lavallée

Prochain épisode : on discute de l'emplacement de la maison.

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